Entre opportunité et risques sanitaires, expérimentation du télétravail généralisé pendant le confinement
Réduire les déplacements, diminuer le bilan carbone, améliorer les conditions de vie des agents, le télétravail présentait de nombreux atouts bien avant la pandémie du Covid-19. Les collectivités territoriales s’y essayaient chaque année un peu plus. Les Villes Internet, souvent précurseurs sur ce sujet grâce à leur utilisation des outils numériques, ont su se servir de leurs expérimentations pour faire face à la crise.
« C’est une proposition visant à limiter les déplacements et à assurer une continuité de service tout en favorisant la qualité de vie au travail, sans négliger l’accès aux ressources du système d’information ». Voilà comment Loïc Fantino, DSI de la ville de Valbonne Sophia Antipolis — 4@ (06) évoque le télétravail. Il ajoute « qu’en 2019, un test de télétravail a été conduit à la suite de la demande d’un agent qui rencontrait des difficultés de déplacement. Nous avons alors mis en place la virtualisation du poste de travail, qui est identique, que l’agent soit connecté sur un terminal dans l’environnement communal ou depuis tout autre équipement. La crise du Covid-19 a exigé une réactivité sans faille. Nous nous sommes alors appuyés sur ce qu’on avait déjà mis en place et le déploiement du télétravail généralisé a été très rapide. On a attribué aux agents des ordinateurs à destination des élèves. En deux jours, tout le monde est passé en télétravail. Nous poursuivons la démarche entamée en 2019 à l’aune des enseignements apportés par cette expérience grandeur nature. Par exemple, le fait d’avoir initié le télétravail à grande échelle nous a permis d’identifier des agents auxquels nous n’avions pas pensé au départ, tels que des agents de terrain qui ont des activités administratives annexes à mener. »
Le télétravail est rendu possible par la loi depuis de nombreuses années
Le 21 janvier 2019, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a publié un bilan relatif au télétravail dans la fonction publique, précisant que ce bilan était difficile à établir faute de données exhaustives et actualisées. Celui-ci, qui s’appuie sur des informations déclarées en 2017, estime que 0,61 % de femmes et 0,2 % d’hommes soit 0,49 % des agents pratiquaient le télétravail. Nous étions alors loin d’une pratique généralisée. En cause, la loi du 12 mars 2012 dite « Sauvadet » et son décret d’application du 11 février 2016, qui ont reconnu la possibilité pour les fonctionnaires notamment d’exercer leurs fonctions dans le cadre du télétravail, ont été jugés trop restrictifs.
Ils ont été modifiés par le très récent décret du 5 mai 2020 qui permet un recours régulier ou ponctuel au télétravail. Il précise que l’autorisation du télétravail « peut prévoir l’attribution de jours de télétravail fixes au cours de la semaine ou du mois ainsi que l’attribution d’un volume de jours flottants de télétravail par semaine, par mois ou par an ».
Une pratique peu répandue rendue obligatoire pendant le confinement, malgré les risques
« Tout ce qui peut se faire en télétravail doit être fait en télétravail », assurait Muriel Pénicaud, ministre du Travail, au début du confinement. Sans préavis ni préparation, celui-ci se trouvait généralisé. Pourtant, « le télétravail “sans limites” peut assurément être dévastateur » affirmait le 15 mai 2020 Frédéric Géa, professeur de droit privé à la faculté de Nancy et spécialiste du droit du travail, dans une discussion avec les lecteurs et lectrices du Monde.
Dans un dossier spécial publié pendant la crise sanitaire, l’institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) alerte sur les risques et les atteintes à la santé et à la sécurité des salarié·e·s que pouvait provoquer la mise en place dans l’urgence du télétravail. L’INRS relève les différences majeures qui existent entre le télétravail réfléchi et mis en place en concertation entre les employeurs et les salarié·e·s et celui imposé en quelques jours. Le télétravail « version Covid-19 » est effectué à temps plein, sans période régulière de retour au bureau ; il se pratique nécessairement au domicile, car les espaces de cotravail sont fermés, dans un environnement familial particulier, car bien souvent le·la conjoint·e est également en télétravail et que les enfants sont présents au domicile avec leur travail scolaire à poursuivre.
Dans ces conditions, l’institut relève des points de vigilances majeurs, tels que le risque d’isolement et d’hyperconnexion, la gestion de l’autonomie ou encore l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.
Il recommande aux encadrant·e·s de s’assurer d’un contact régulier avec les salarié·e·s et surtout de respecter le droit à la déconnexion en ne les contactant qu’aux horaires de travail.
Télétravail et tiers-lieux, la solution
On compte aujourd’hui plus de 5000 “tiers-lieux” en France, des lieux d’accès public à internet, médiathèques. Des lieux de médiation numérique à usages multiples, aux “coworking” privés qui font réseau en collaboration avec les collectivités territoriales comme on le voit en Occitanie par exemple. Ce maillage, visible sur l’Atlaas, porté par les collectivités locales, avec des animatrices et animateurs formés, est donc déjà solide, prêt à être densifié et spécifié. De véritables réseaux sont mis en place pour répondre aux enjeux d’habitat dispersé ou d’intercommunalités qui doivent localiser des locaux, comme on le découvre au Pays des Achards dans le podcast Ici, Demain.
Le décret du 5 mai 2020 précise que « le télétravail peut être organisé au domicile de l’agent, dans un autre lieu privé ou dans tout lieu à usage professionnel ».
Pugnac – 5@ (33), n’a pas attendu ce texte pour soutenir l’aventure des tiers-lieux. Comme le souligne Pierre Magnol, conseiller municipal qui suit ce dossier, « c’est en 2012 qu’est né le projet d’espace de cotravail Le PatchWork. La structure au statut associatif a été créée par la communauté des communes de Bourg-sur-Gironde (devenue depuis le Grand Cubzaguais) et soutenue par la région Aquitaine ». Les visiteurs et visiteuses y croisent des travailleurs·euses indépendant·e·s ou des salarié·e·s en télétravail. Sans attendre que la force des choses interdise aux Français·e·s de se déplacer, cette communauté de bonnes volontés a mis en place un espace de travail chaleureux et bienveillant, dans lequel aucun règlement intérieur n’est nécessaire pour que l’organisation du lieu soit fluide et efficace. On y trouve tout le matériel de bureau nécessaire aux activités administratives.
Partage de connaissances et de compétences, coopération voire collaboration sur différents projets, ces espaces de cotravail prennent encore plus de sens dans la France rurale.
De quoi alimenter les réflexions nées pendant le confinement, durant lequel de nombreuses vocations de télétravail ont vu le jour, si on en croit le sondage publié par l’IFOP le 7 mai 2020. L’institut révèle que 83 % des actifs interrogés souhaitent un développement massif du travail à distance et qu’un·e salarié·e sur 3 veut continuer le travail à distance après le 11 mai. Gageons que les employeur·euse·s — au premier rang desquels les collectivités locales — déploient les outils nécessaires à un télétravail dans de bonnes conditions.
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