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Frances Haugen : « La plateforme Facebook porte atteinte à la santé et à la sécurité de nos communautés et menace l’intégrité de nos démocraties »

Publié le 18 novembre 2021 Identités, droits et libertés

“Je m’appelle Frances Haugen, je travaillais chez Facebook. […] Je suis ici aujourd’hui car je crois que les produits de Facebook nuisent aux enfants, aggravent les clivages, affaiblissent nos démocraties, et bien plus encore.”

Voilà comment Frances Haugen commence son audition au Sénat français le 10 novembre 2021. Les mots sont choisis avec soin et écrits sur un document. La lanceuse d’alerte n’est pas dans l’improvisation, mais au contraire dans une tournée mondiale savamment organisée. 

L’ancienne cheffe de produits travaille dans de grandes entreprises technologiques depuis 2006 telles que Google, Pinterest, Yelp et Facebook. Son travail a porté sur des recherches algorithmiques comme les recherches Google + et les systèmes de recommandation comme celui qui alimente le fil d’actualité Facebook. En travaillant dans ces 4 grandes entreprises technologiques, elle a pu comparer la façon dont chaque entreprise aborde et relève différents défis. Les choix opérés par les dirigeants de Facebook constituent, selon elle, un problème énorme pour les enfants, pour la sécurité publique et pour la démocratie. 

“Facebook est devenue une entreprise de 1000 milliards de dollars en engrangeant des bénéfices au détriment de notre sécurité et celle de nos enfants.” 

C’est pour cette raison qu’elle a lancé l’alerte. 

L’impact de Facebook sur nos sociétés

Selon Frances Haugen, les dirigeants de l’entreprise savent comment rendre Facebook et Instagram plus sûrs. Mais ils refusent de faire les changements nécessaires parce qu’ils font passer leurs immenses bénéfices avant les gens. Les conséquences sont graves. “La plateforme Facebook porte atteinte à la santé et à la sécurité de nos communautés et menace l’intégrité de nos démocraties. Il ne sera pas facile de relever ce défi. Mais les démocraties doivent faire ce qu’elles ont toujours fait lorsque les actions du commerce entrent en conflit avec les intérêts du peuple et de la société dans son ensemble. Les démocraties doivent intervenir et élaborer de nouvelles lois.”

Au cours de son travail chez Facebook, d’abord en tant que cheffe de produit pour la désinformation civique puis en tant que responsable du contre-espionnage, Frances Haugen a constaté que Facebook a fait face à plusieurs reprises à des contradictions entre ses profits et la sécurité des citoyens et citoyennes. Ils ont toujours résolu ces conflits en choisissant leur profit. Selon la lanceuse d’alerte, cela conduit à des divisions, à l’extrémisme, à la polarisation qui fragilisent la société. Dans certains cas, ces dangereux discours ont conduit à des violences qui ont fait des victimes et des morts. Dans d’autres cas, cette “machine à générer des profits” génère des automutilations, de la haine de soi, notamment pour les groupes vulnérables comme les adolescentes. Ces problèmes ont été confirmés à plusieurs reprises par les recherches internes de Facebook. Les documents fournis par Frances Haugen prouvent que Facebook a menti à plusieurs reprises sur ce que ses propres recherches révèlent sur la sécurité des enfants, sont rôle dans la diffusion de messages haineux et polarisant, et bien plus encore. 

Le rôle des États dans la régulation 

La lanceuse d’alerte considère que la loi sur les services numériques (Digital Services Act) actuellement en discussion au parlement européen a le potentiel pour devenir une référence mondiale et influencer d’autres pays à adopter de nouvelles règles pour protéger nos démocraties. “La loi doit être forte et son application ferme sinon nous perdrons cette occasion unique d’aligner l’avenir de la technologie et de la démocratie. Je sais que les dirigeants français ont joué un rôle central dans les progrès que nous avons accomplis et je vous encourage à maintenir la pression.” 

L’urgence de la situation implique de mettre en place de nouvelles règles et de nouvelles normes. “La législation de l’UE a un énorme potentiel. Elle n’essaye pas de supprimer le problème avec une réglementation sur le contenu. Elle adopte une approche neutre en termes de contenu pour s’attaquer aux risques systémiques et aux méfaits du modèle commercial global.” 

Frances Haugen soutient cette approche et considère que la force des nouvelles lois dépend de la volonté politique des Etats membres de les faire appliquer. C’est le sens de la tournée mondiale qu’elle effectue en ce moment. 

Zuckerberg, fondateur et principal actionnaire de Facebook, resté silencieux et en retrait depuis le début de la crise, a choisi de s’exprimer le 28 octobre 2021 à l’occasion de la conférence des développeurs de Facebook. Il n’y évoque évidemment pas les « Facebook Files », mais annonce coup sur coup le lancement du métavers1 et le nouveau nom de l’entreprise : « Meta ».

Une tentative de diversion ? M. Zuckerberg s’en défend, le doute est permis. 

 

 

  1.  Le métavers trouve son origine dans Snow Crash, un roman dystopique des années 1990 dans lequel les gens fuient le monde réel en ruine pour s’immerger totalement dans un monde virtuel. S’il reconnaît que les origines du mot sont une « escroquerie », M. Zuckerberg tente de récupérer le métavers comme une idée utopique qui débloquera une toute nouvelle économie de biens et services virtuels.

Par Anna Mélin