Infos, désinfo, infox, quels outils pour les citoyens ?
En 1999, le Groupe Schibsted Media lançait le concept du journal gratuit « 20 minutes ». Le 15 mars 2002, le premier numéro est diffusé dans les rues de Paris… Trois ans plus tard, en 2005, BFMTV – chaîne d’information en continu voyait le jour. Un an plus tard, en 2006, Facebook devenait accessible à toutes et tous. La même année Twitter apparaissait.
En vingt ans, la production et la diffusion de l’information se sont structurellement métamorphosées, faisant de chaque citoyen un potentiel créateur et relayeur de nouvelles. Derrière la liberté d’expression — principe constitutionnel, un immense marché de l’information se déploie. L’enjeu est alors de construire un esprit critique capable d’analyser toutes les actualités qui nous parviennent en temps réel. Un objectif : faire le tri entre ce que nous souhaitons voir et ce qui ne nous intéresse pas, et surtout entre le vrai et le faux. Pour cela, des outils existent et le parlement a récemment voté une loi. Est-ce suffisant et efficace ?
De la désinformation à la manipulation de l’information
Dans un document intitulé « Mutation de l’information : nécessité de développer son esprit critique », le Centre pour l’Éducation aux Médias et à l’Information (CLEMI) définit l’information comme étant « un fait collecté auprès de sources fiables, vérifiées et recoupées et qui devient un sujet traité par une rédaction ». Le dossier ajoute que « la désinformation est une information fausse ou trompeuse produite délibérément » et que « la manipulation de l’information est la diffusion intentionnelle et massive de fausses nouvelles ou biaisées à des fins politiques hostiles. »
Ainsi, pendant les deux années précédant le début de l’intervention américaine en Irak en mars 2003, à 532 reprises (discours, conférences de presse, interviews, etc.), Bush et son administration ont affirmé de manière erronée que l’Irak avait des armes de destructions massives (ou qu’ils essayaient d’en produire ou d’en obtenir) et des liens avec Al Qaida, ou les deux. Plusieurs années après l’invasion américaine de l’Irak, il ne fait plus de doute que « les déclarations ont fait partie d’une campagne orchestrée qui a effectivement galvanisé l’opinion publique et conduit le pays à la guerre sur la base de prétextes résolument faux ».
L’administration Bush se servait alors des médias pour relayer ses mensonges et gagner l’assentiment des peuples. Nous assistions à une incroyable manipulation de l’information.
De même, lorsque France 2 diffuse le 7 décembre 2016 un reportage sur un bar PMU à Sevran (93) qui refuserait l’accès aux femmes, nous faisons face à ce que le document du CLEMI appelle de la désinformation par des « bidouillages de reportages ». Une contre-enquête du Bondy Blog a en effet démontré, éléments à l’appui, que les affirmations de la chaîne publique selon lesquelles dans ce bar « les hommes rejettent les femmes », liant par ailleurs ce fait à la présence de l’islamisme radical, sont totalement fausses. Dans un courrier adressé au président du CSA, le sénateur Yannick Vaugrenard s’alarmait : « […] de nombreuses questions demeurent au point de faire peser un discrédit fort sur l’ensemble de la chaîne publique. Monsieur le Président, un reportage diffusé sur une chaîne publique ne saurait souffrir du moindre doute quant à sa véracité et à la rigueur de sa réalisation. »
Nous sommes ici au cœur de la problématique : nul besoin de trouver une information farfelue sur un site Internet contesté pour devoir mobiliser son esprit critique. À chaque moment, de Washington à Sevran, des intérêts politiques ou économiques peuvent manipuler l’information, aux citoyens de faire le tri et se faire leur propre opinion. Les outils numériques — et Internet en particulier — ne sont ainsi pas nécessairement les véhicules des fausses informations, mais peuvent au contraire permettre de contredire la ligne éditoriale diffusée.
Le paradoxe de l’esprit critique
L’esprit critique est « l’esprit de libre examen qui n’accepte aucune affirmation sans s’interroger sur sa valeur ; […] promptitude à critiquer ; […]» C’est de cette manière que le dictionnaire Larousse définit ce trait de caractère.
Dès lors, l’esprit critique semble être la première qualité à développer pour analyser toutes les informations qui nous parviennent et réussir à en faire le tri.
Or, les individus les plus perméables aux fausses informations revendiquent leur esprit critique et que c’est précisément pour ça qu’ils ne croient pas dans ce que racontent les canaux « officiels ». Nous atteignons là le paradoxe de l’esprit critique. Toute personne qui tenterait de leur faire entendre raison se verrait accusée d’être faible et ignorante face aux pouvoirs, aux lobbies, aux groupes influents…
Comment, alors, parvenir à convaincre les sceptiques que ce qu’ils déclarent ou diffusent sont de vraies « fausses informations » ?
Les vraies « fausses infos »
Fake News ou infox en français sont désormais légion sur les réseaux sociaux et certains sites Internet, au point que le législateur s’en est mêlé.
L’Assemblée nationale a ainsi voté la Loi contre la manipulation de l’information qui vise, selon le gouvernement, « à mieux protéger la démocratie contre les diverses formes de diffusion intentionnelle de fausses nouvelles ».
Le texte entend s’attaquer à la diffusion massive et extrêmement rapide des fausses nouvelles via les dispositifs numériques, notamment les tuyaux de propagation que sont les réseaux sociaux et les médias sous l’emprise d’un État étranger. Selon la définition adoptée, les « fausses informations » sont « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin ».
L’attention est en effet particulièrement portée sur les périodes de campagne électorale, juste avant et durant les élections, pour « concentrer les outils sur les tentatives d’influencer les résultats d’élections » (comme on l’a vu lors de la dernière élection présidentielle américaine ou la campagne du Brexit). En dehors des périodes électorales, le texte crée un devoir de coopération des plateformes, pour les obliger à mettre en place des mesures pour lutter contre les fausses nouvelles, et à rendre publiques ces mesures.
Dans deux décisions du 20 décembre 2018, le Conseil Constitutionnel, qui a validé cette loi, émet néanmoins une réserve d’interprétation sur la notion de « manipulation de l’information », précisant que le caractère “inexact ou trompeur” d’une information doit être « manifeste », et qu’il en est de même pour « le risque d’altération de la sincérité du scrutin ».
Les groupes d’opposition de l’Assemblée nationale ont voté contre les dispositions proposées ou se sont abstenus, dénonçant une loi « inutile » et pointant « un risque » notamment pour la liberté d’expression. Des associations et syndicats de journalistes s’étaient aussi élevés contre ces mesures, craignant notamment un premier pas vers une possible « censure ».
Quels outils pour les citoyens ?
Sans présumer de l’efficacité de ces textes, de plus en plus de médias conçoivent des instruments pour se prémunir des infox diffusées sur Internet ou… par les autres médias. Infox, mensonges ou fausses informations, tout y passe.
Ainsi, les décodeurs du Monde.fr examinent déclarations, assertions et rumeurs en tous genres, ils mettent l’information en forme et la replacent dans son contexte, et ils répondent aux questions de leurs lecteurs. Ils ont même été plus loin en créant le « Decodex », outil à installer sur son moteur de recherche, qui peut donner un avis en temps réel sur la qualité du site consulté.
De même, sur le site Internet CheckNews, chacune et chacun peut poser des questions aux journalistes de Libération afin de vérifier une information. Parmi les questions présentes sur le site, « Le traité de Lisbonne ouvre-t-il la voie à un possible retour de la peine de mort ? » à laquelle les journalistes répliquent, en argumentant, que c’est faux. Ou encore, ils expliquent pourquoi « Non, l’alignement des planètes n’annonce pas un séisme majeur à venir ».
De quoi replacer la presse dans son rôle de contre-pouvoir déterminant dans une société démocratique. C’est d’ailleurs ainsi que la définissait la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Goodwin contre Royaume-Uni en 1996, qualifiant les journalistes de « chiens de garde de la démocratie », dès lors que la presse « fournit des informations sérieuses sur des questions d’intérêt général ».
Dans ce contexte Villes Internet et la Maif proposent à leur réseau de questionner les comportements face à l’information, dans une vaste enquête-test * INFOS/DESINFOS :
entre « infobésité » et « infodoute » chacun peut se situer sur le curseur de sa capacité à vérifier l’information !
* Les résultats de cette enquête nationale seront envoyés personnellement aux participants qui le souhaitent.
Pour aller plus loin : – Lisez le rapport conjoint CAPS/IRSEM – Les manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties (04.09.18) – Consultez le document du CLEMI : « Mutation de l’information : nécessité de développer son esprit critique » – Retrouvez au mois de mars notre dossier sur l’éducation aux médias. |