Information, connaissances, partage, j’aime… les mots-clés pour définir les réseaux sociaux pourraient être ceux-là. Il faut malheureusement y ajouter « troll », insultes, harcèlement, attaque, agressivité, qui les caractérisent tout autant. Une prise de conscience des responsables politiques semble avoir eu lieu, le gouvernement a ainsi décidé de légiférer faisant de la lutte contre le harcèlement en ligne une priorité. Des outils existent et la machine judiciaire se saisit du sujet, mais ces mesures se heurtent au blocage de certaines plateformes. Comment, dès lors, faire en sorte que ces espaces restent des zones sécurisées et protéger les victimes ?
Le cyber-harcèlement, un phénomène de société
Le site Internet de e-enfance, association spécialisée dans la lutte contre le cyber-harcèlement, définit le cyber-harcèlement comme étant « le fait d’utiliser les technologies d’information et de communication pour porter délibérément atteinte à un individu, de manière répétée dans le temps ». « Le harcèlement en ligne peut se manifester par l’humiliation, les moqueries, les injures, la diffamation, le discrédit, l’intimidation, l’usurpation d’identité, les menaces physiques, les prises de contact insistantes… »
22 % des jeunes majeurs disent avoir été la cible de harcèlement en ligne, selon un sondage IFOP pour Franceinfo publié le 15 février 2019. Ce phénomène est ainsi en passe de devenir le fléau de toute une génération.
Comme l’attestait la deuxième enquête nationale de climat scolaire et de victimation organisée par le ministère de l’Éducation nationale en 2013, un collégien sur cinq est concerné par la cyberviolence. Selon ce ministère, la cyberviolence présente des spécificités liées aux médias numériques : capacité de dissémination vers un large public, caractère incessant, difficulté d’identifier l’auteur et d’agir une fois les messages diffusés. Elle recouvre des réalités et des phénomènes variés : photos publiées sans autorisation ou modifiées, « happy slapping » (acte de violence provoqué, filmé et diffusé), diffusion d’images à caractère pornographique, usurpation d’identité, violation de l’identité, menaces ou diffamation. Elle amplifie et prolonge des phénomènes tels que moquerie, brimade, insulte, discrimination, violence physique, etc., voire exclusion du groupe de pairs, élément essentiel de la sociabilité juvénile. Interrogée sur ces faits qui font désormais partie des affaires qu’elle doit traiter, la juge pour enfants Judith Haziza précise que « les auteurs de cyberviolence ne prennent pas toujours conscience de la gravité de leurs actes, phénomène lié à l’effet de dissolution des responsabilités sur les réseaux sociaux. Ce sont les réactions cumulées des uns et des autres qui créent l’effet de harcèlement. Et bien souvent, l’argument de l’humour déculpabilise l’auteur prétextant que ce sont les victimes, majoritairement des filles, qui sont fragiles ou susceptibles ».
De même, selon un récent rapport d’ONU Femmes, 73 % de femmes ont déclaré avoir été victimes de violences en ligne, et 18 % d’entre elles ont été confrontées à une forme grave de violence sur Internet[1].
Du décrochage scolaire à la dépression en passant par les troubles de la socialisation, les répercussions peuvent être désastreuses pour les élèves victimes. Pour les adultes qui les subissent, on relève des séquelles physiques, mentales et sociales importantes. L’affaire récente de la « ligue du LOL », du nom du groupe Facebook rassemblant des hommes dans le milieu du journalisme et de la communication et les méthodes de harcèlement mises en œuvre, a déclenché une nouvelle prise de conscience de l’ampleur du phénomène et de ses conséquences.
La loi s’en mêle et se met à jour
Dès août 2014, un délit particulier sur le harcèlement numérique a été créé, il s’agit de l’article 222-33-2-2 du Code pénal.
Depuis, la loi du 3 août 2018 a mis en place un dispositif répressif pour lutter contre de nouvelles formes de violences sur Internet et les réseaux sociaux. Ces mesures répondent au besoin urgent de combattre les actions « en meute ». En effet, il arrive fréquemment que sur le réseau Twitter plusieurs utilisateurs s’attaquent en même temps à un seul individu. Ces attaques ne rentrent pas dans la définition du harcèlement, mais peuvent être tout aussi violentes.
Ainsi, un nouveau délit de captation, d’enregistrement et de transmission d’images impudiques commis à l’insu ou sans le consentement de la personne est dorénavant créé et passible d’une peine d’emprisonnement de 1 an ainsi qu’une amende de 15 000 €.
Désormais tous les participants à un acte de cyber-harcèlement peuvent être condamnés pour quelques mails ou tweets, quelques statuts Facebook, quelques messages sur des groupes ou des forums. L’auteur principal peut encourir une peine d’emprisonnement de 3 ans et 45 000 € d’amende.
Ces mesures ne semblent pas suffisantes pour enrayer le phénomène. La députée Laetitia Avia (LREM) a ainsi présenté le 11 mars 2019 une proposition de loi destinée à combattre les contenus haineux en ligne. La première obligation créée s’adresse aux plateformes, elles devront supprimer sous vingt-quatre heures un contenu illégal. Si elles ne respectent pas cette obligation, le CSA pourra les sanctionner d’une amende pouvant aller jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires mondial annuel. La députée de Paris propose par ailleurs dans ce texte la création d’un bouton unique, commun à toutes les plateformes. De même, même si le propos repéré n’est pas illicite, les plateformes devront systématiquement répondre à un signalement dans un délai de sept jours. Le texte, que certains trouvent trop faible face à l’ampleur du problème et au blocage des plateformes et notamment de Twitter, devrait être soumis à l’Assemblée nationale en mai prochain, charge d’ici là aux victimes d’utiliser les outils existants.
Briser le silence et utiliser les outils
Vingt-cinq policiers et gendarmes oeuvrent au sein de la plateforme Pharos qui dépend de la direction centrale de la police judiciaire. Elle permet lutte contre la cybercriminalité en traitant les alertes de contenus et de comportements illégaux sur Internet. Pour faire appel à eux, deux conditions doivent être réunies : les contenus signalés doivent être publics et manifestement illicites. S’en suit alors un travail d’enquête similaire à celui d’une scène de méfait classique, avec le recoupement des faits et la récolte de preuves, qui sont dans le cas présent des captures d’écrans, et des indices numériques. Les fournisseurs d’accès à Internet permettent enfin d’identifier la personne à l’origine du contenu signalé. 90 % des signalements reçus par la plateforme Pharos proviennent des internautes, il donc indispensable que les victimes ou les témoins se manifestent. D’autant plus indispensables qu’une fois le silence brisé, ils ou elles pourront s’adresser aux associations d’aide aux victimes qui existent telles que le n° net Écoute 0800 200 000, géré par l’association E-Enfance ou le 30 20 (Non au harcèlement). Au-delà de l’écoute et du conseil, les interlocuteurs peuvent aider au retrait d’images ou de propos blessants.
À leur niveau, les collectivités locales s’engagent également, à l’image de Marcq-en-Barœul, pionnière en la matière. Elle agit ainsi à travers un atelier cinéma à destination des jeunes depuis plusieurs années.
Judith Haziza conclut en appelant toutes les victimes à « déposer plainte pour que les auteurs soient contraints d’assumer leur responsabilité individuelle face à un policier ou un juge, et que la victime soit reconnue comme victime d’une infraction pénale et non pas simplement comme le maillon faible qui n’a pas su s’intégrer au groupe de pairs. »
[1] http://www.unwomen.org/en/news/stories/2015/9/cyber-violence-report-press-release