Le droit à la vie privée familiale à l’épreuve de l’espionnage numérique
2ème chapitre du dossier « La sécurité numérique individuelle et collective à l’épreuve de la surveillance et de l’espionnage familial ou professionnel »
En 2018, le centre Hubertine-Auclert publiait une enquête sur la cyberviolence faite aux femmes. Sur les 302 victimes interrogées, 21% ont déclaré avoir été surveillées via des logiciels espions ou un autre dispositif de traçage. Un chiffre «sûrement sous-estimé, car les femmes vont avoir du mal à détecter un logiciel espion (souvent invisible) ou savoir qu’elles sont pistées par GPS», est-il précisé dans le rapport. En revanche, 64% des répondantes ont eu la sensation que leur partenaire ou ex-conjoint avait accès à des informations contenues dans leur téléphone, mail ou comptes de réseaux sociaux. Presque la moitié des répondantes (44%) ont déclaré «que leur partenaire connaissait leurs déplacements sans qu’elles lui en aient parlé».
Le cyber contrôle dans le couple, à savoir l’usage des services numériques par un conjoint, éventuellement à l’insu de sa conjointe ou ex-conjointe, est exercé dans le but de contrôler l’activité de cette dernière (déplacements, activités sociales, dépenses, activité administrative diverse). S’il existe peu de données chiffrées en France sur ce phénomène, les enquêtes menées à l’étranger ainsi que les remontées des associations qui accueillent les femmes victimes de violences laissent présager l’ampleur du phénomène. D’après une enquête menée en Grande Bretagne par Women’s Aid, l’une des principales associations de prise en charge des femmes victimes de violences en Grande-Bretagne, 85 % des femmes accueillies ont subi des violences dans la vie réelle et dans la vie numérique et parmi elles, 29 % l’ont été via des logiciels de géolocalisation et de surveillance.
En 2013, le Domestic Violence Ressource Centre Victoria – organisme à but non lucratif qui propose des formations, des publications et des recherches sur les violences conjugales en Australie – a conduit une première enquête plus complète dans le cadre d’un projet « SmartSafe » afin de mieux comprendre comment les technologies mobiles peuvent présenter de nouveaux moyens pour les agresseurs dans le contexte de violences conjugales. L’enquête a été réalisée en ligne auprès de 152 professionnel·les en lien avec des femmes victimes de violences et 46 femmes victimes de violences conjugales : 97 % des professionnel·les spécialisé·es dans les violences conjugales ont déjà reçu des victimes de cyberviolences. Les agresseurs utilisent le plus souvent le téléphone portable connecté (82%), mais aussi les réseaux sociaux (82%), et moins fréquemment les mails (52%) et le GPS (29%). 78% des femmes victimes de violences conjugales interrogées (46) ont reçu des SMS (harcèlement), 39% ont vu des photos intimes diffusées par leur partenaire ou ex sans leur accord, et 17% ont été tracées à l’aide d’un GPS par leur partenaire ou ex. Ces violences concernent les femmes quelque soit leur âge. 56% n’en ont jamais parlé, par honte (85%), par peur de ne pas être crues (45%) ou de ne pas pouvoir prouver (45%).
Des solutions existent pour inverser le cours des choses
Comme le souligne le Haut conseil à l’égalité femmes-hommes, la place des technologies de l’information et de la communication dans les violences faites aux femmes est encore trop peu identifiée par les professionnel·les, qu’il s’agisse du personnel des associations qui accueillent les femmes victimes de violences ou des services de police et de gendarmerie et des professionnel·les du droit (magistrat·es et avocat·es). Il est urgent de renforcer leur formation en la matière et de les outiller d’un guide pratique spécifique sur le cyber contrôle.
L’industrie des technologies de l’information a également son rôle à jouer dans la lutte contre le cyber contrôle : il est urgent que ses acteur·rices prennent la mesure des dangers induits par la vente libre — et peu coûteuse — de logiciels de surveillance et développent en conséquent des outils techniques efficaces pour prévenir leur utilisation malveillante.
Dossier spécial : la sécurité numérique individuelle et collective à l’épreuve de la surveillance et de l’espionnage familial ou professionnel |