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Le recyclage des déchets numériques, l’arlésienne

Publié le 4 décembre 2019 Territoire durable

Bien que les batteries rechargeables des smartphones, des voitures et des tablettes puissent être chargées encore et encore, elles ne durent pas éternellement. Elles finissent souvent dans les décharges ou les incinérateurs, pour le plus grand malheur de l’environnement. Si l’absence de recyclage des e-déchets est écologiquement dramatique, elle est également totalement absurde économiquement. Les matériaux de valeur restent enfermés à l’intérieur des appareils abandonnés dans les décharges, sans possibilité de réutilisation. Il existe pourtant des solutions de récupération des métaux rares, encore faut-il que cela devienne une priorité publique.

La révolution numérique ne s’intéresse pas aux (e-)déchets qu’elle produit

 La gestion des e-dechet (« e-waste » en anglais, ou encore WEEE « waste of electric and electronic equipments ») est complexifiée par les natures différentes des objets à traiter. Qu’est-ce qui réunit un écran plat, une montre connectée et un lave-vaisselle ? Ce n’est ni leur taille, ni leur poids et encore moins leur utilisation, mais seulement les métaux rares qui les composent, tels que le silicium, cadmium, cuivre, chrome, mercure… Si l’enjeu du recyclage des ordures ménagères rentre petit à petit dans les mœurs, celui des équipements électroniques peine à pénétrer les foyers. Les habitudes ont la vie dure, et de grandes quantités d’appareils connectés sont encore jetées dans des poubelles domestiques, suivant le chemin des déchets du quotidien, excluant toute possibilité de récupération des matériaux qui les constituent.

Selon une note du CNRS rédigée par Laure Cailloce, en Europe, par exemple, à peine 18 % des métaux présents dans nos ordinateurs portables sont ainsi réutilisés. Une partie importante des appareils en fin de vie continue d’atterrir dans des décharges sauvages, en Chine, en Inde, ou encore au Ghana, où ils sont brûlés pour récupérer l’or et souillent les nappes phréatiques. Et ce, parfois même lorsque des consommateurs consciencieux ont pris soin de confier leurs appareils à des organismes spécialisés. En installant des capteurs GPS dans des équipements électroniques destinés au recyclage, le Basel Action Network (BAN) a été en capacité d’affirmer que « 40 % des e-déchets donnés aux entreprises de recyclage sont envoyés illégalement pour polluer des exploitations distantes ». L’association déclare que bien que le retraitement des déchets électroniques contribue à réduire la contamination des sites d’enfouissement et l’extraction de matières premières, leur exportation constitue le plus souvent un commerce illicite au sens de la Convention de Bâle[1]. Sans compter que la gestion des déchets électroniques toxiques dans le secteur informel nuit à la santé humaine et à l’environnement. 

Un détournement des déchets prévisible au regard de la valeur des composants électroniques. Un rapport de l’EPA, agence de protection de l’environnement aux États-Unis paru en 2014 rappelle que pour chaque million de téléphones mobiles jetés, ce sont 16 tonnes de cuivre, 350 kilos d’argent, 34 kilos d’or et 15 kilos de palladium perdus « dans la nature ».

Les champignons, sauveurs de la planète

Une équipe de chercheurs a présenté en 2016 lors de l’exposition nationale de l’American Chemical Society (ACS) une expérience qui s’appuie sur les champignons naturels pour mettre en place un processus de recyclage écologique permettant d’extraire du cobalt et du lithium de tonnes de batteries usagées. « Nous observions l’énorme croissance des smartphones et de tous les autres produits dotés de batteries rechargeables, nous avons donc modifié notre objectif. La demande de lithium augmente rapidement et il n’est pas viable de continuer à exploiter de nouvelles ressources de lithium », explique Jeffrey A. Cunningham, chef d’équipe du projet. Les autres méthodes pour séparer le lithium, le cobalt et d’autres métaux nécessitent des températures élevées et des produits chimiques corrosifs. L’équipe de Cunningham a mis au point un moyen de le faire sans danger pour l’environnement avec les organismes présents dans la nature — les champignons en l’occurrence — et les place dans un environnement propice à leur travail. « Les champignons sont une source de travail très bon marché », souligne, non sans une part d’humour, le professeur Jeffrey A. Cunningham.

Les collectivités locales se saisissent du sujet

Même si les lois internationales sont peu appliquées, chaque pays tente d’installer son réseau de reconditionnement. La France a inventé en 2007 au sein de sa délégation interministérielle aux usages de l’Internet, le programme Ordi 3.0. Il affiche 180 structures locales labellisées, essentiellement des structures de réinsertion, 330 000 ordinateurs reconditionnés en 2018, 300 emplois et 10 M€ de CA. Cependant aucun ministère n’assume l’accélération de son déploiement dans les années à venir.

Alors, les villes et villages se saisissent directement de la question, comme en témoignent les multiples actions sur ce thème inscrites dans l’Atlaas de Villes Internet. La ville de Versailles est particulièrement investie en mettant en place un processus complet de gestion de ces déchets pour guider ses citoyens et leur proposer des solutions de tri accessibles à tous, mais aussi pallier les situations de mauvais recyclage. Ces déchets numériques collectés sont ensuite repris par un éco organisme qui les démantèle et les orientent vers les filières de récupération adéquates.

Ne reste plus qu’à espérer que l’organisme récolteur assure un traitement respectueux des règles sociales et environnementales.

 

[1] Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, 22 mars 1989


2/ www.ordi3-0.fr

 

Par Anna Mélin