Le tarif social de l’Internet Episode 1
À l’heure où les outils numériques envahissent le quotidien des Françaises et des Français, conditionnant souvent leur accès à l’emploi, aux prestations sociales, et leur place dans la société, l’absence de connexion Internet constitue une des causes de la création d’un « fossé numérique » entre les citoyens. Une fracture que les pouvoirs publics ont la responsabilité de limiter, voire d’éliminer.
Au début des années 2000, considérant que le principal obstacle à l’acquisition par les ménages d’une connexion Internet résidait dans son coût financier, les responsables politiques ont choisi de mettre en place une tarification sociale de l’Internet.
Vingt ans plus tard, les dispositifs existants demeurent largement illisibles. De nombreux textes les réglementent, certains appliqués et d’autres pas, et des mesures annoncées ne sont mises en œuvre que plusieurs années plus tard. Quel paradoxe ! Voilà des outils pensés pour les publics défavorisés, qui précisément devraient pouvoir trouver toutes les informations facilement, mais dont les pistes sont brouillées par un jargon juridique et économique impénétrable.
Il s’agit ici de reprendre l’histoire du tarif social de l’Internet en France, d’y apporter des éléments de comparaison internationale, et enfin de dresser le portrait de la situation actuelle et des pistes de solutions pour l’avenir.
Histoire du tarif social de l’Internet en France
Le tarif social de l’Internet a un grand frère, le service universel des communications électroniques.
Le service universel des communications électroniques
C’est un service public français : toute personne peut bénéficier d’un raccordement fixe à un réseau ouvert au public et d’un service téléphonique de qualité, à un tarif abordable. Institué au niveau européen dans le contexte de la libéralisation du secteur des télécommunications à la fin des années 1990, il constitue un « filet de sécurité social lorsque les forces du marché n’offrent pas, à elles seules, un accès peu onéreux aux services de base pour les consommateurs, en particulier ceux qui habitent dans des zones éloignées ou qui disposent de faibles revenus ou souffrent d’un handicap »[1].
Dans leur rapport[2], Pierre Camani (sénateur du Lot-et-Garonne) et Fabrice Verdier (député du Gard) soulignaient en 2014 que : « L’ouverture du secteur des télécommunications à la concurrence, dont les prémices remontent au livre vert de 1987, s’est accompagnée dès l’origine de l’obligation pour les États membres de fournir un service universel garantissant à tous les habitants de pouvoir bénéficier d’un accès aux services de télécommunications. »
La directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 modifiée dite directive « Service universel » définit strictement le périmètre du service universel des communications électroniques.
Les transformations technologiques — généralisation de la téléphonie mobile et offres de connexion Internet — ont profondément modifié les usages des Français et appelaient une évolution de la réglementation et des services proposés.
Ainsi, au début des années 2000, Lionel Jospin y a apporté une première réponse en créant les Espaces publics numériques (EPN) afin que tous les Français aient accès à un outil informatique. Un maillage de 7 000 EPN irrigue encore aujourd’hui le territoire national. Les collectivités territoriales administrent 80 % de ces Espaces. Les 20 % restants sont animés par des associations ou des entreprises privées (organismes de formation, entreprises de l’économie sociale et solidaire).
Mais le développement de la téléphonie mobile et des obligations d’utiliser Internet ont créé un nouvel enjeu : permettre à tous les Français, quel que soit leur niveau de revenu, de bénéficier d’une connexion Internet à domicile. C’est ainsi qu’en 2011 les pouvoirs publics mettent en place un dispositif de conventionnement volontaire pour les opérateurs de téléphonie et fournisseurs d’Internet. Le tarif social de l’Internet est né.
Le tarif social de l’Internet va progressivement émerger
Pour bénéficier du label « tarif social de l’Internet », les opérateurs doivent se conformer au cahier des charges rendu public, après une concertation de tous les acteurs, par le gouvernement le 21 septembre 2011. Les principales caractéristiques à respecter sont les suivantes :
– Inclure un accès illimité à Internet et à la téléphonie fixe pour moins de 23 euros TTC, box comprise ;
– Être disponible pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) socle ;
– Être sans engagement de durée, sans caution ni frais d’activation
Cette dernière obligation constitue une garantie majeure pour les publics en difficulté. En effet, au-delà du coût mensuel de la connexion, les conditions de résiliation en cas de problème financier soudain sont un élément déterminant.
Le 9 février 2012, Éric Besson et Frédéric Lefebvre se félicitaient du lancement par l’opérateur France télécom -Orange, de la première « offre sociale de l’Internet ».
En 2014, le bilan de cette mesure apparaissait plus que mitigé, avec une seule offre labellisée, celle d’Orange, pour un nombre total de clients d’environ 500 abonnés.
Le tarif social de l’Internet reste pourtant un obligation dont ne pourrait se passer un État qui entend lutter contre la fracture numérique. Il constitue en effet un socle sur lequel s’appuient les gouvernants pour mettre en place d’autres outils.
Ainsi, la Loi pour une République numérique de 2016 a pris une nouvelle mesure à ce sujet. Elle dispose que “toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer d’un service d’accès à internet. La fourniture du service est maintenue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’aide. Le débit peut être restreint par l’opérateur, sous réserve de préserver un accès fonctionnel aux services de communication au public en ligne et aux services de courrier électronique.”
En outre, des pays étrangers ont développé d’autres pistes, comme l’allègement des conditions générales de vente afin d’assouplir encore les obligations qui pèsent sur les foyers les plus précaires, la révision des tarifs mensuels voire la gratuité, les réductions d’impôts…
Il est ainsi certain que le sujet nécessite un débat politique : c’est aux élus de réfléchir au rôle de l’acteur public et à comment un “service public du numérique ” doit s’instaurer autour de services essentiels.
Épisodes suivants : |
[1] Communication de la Commission européenne en date du 23 novembre 2011.
[2] Le service universel des communications électroniques au regard des nouveaux usages technologiques : enjeux et perspectives d’évolution – Remis le vendredi 17 octobre 2014 À Madame la Secrétaire d’État au numérique, Axelle Lemaire