Le tarif social de l’Internet – Épisode 3
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À l’heure où les outils numériques envahissent le quotidien des Françaises et des Français, conditionnant souvent leur accès à l’emploi, aux prestations sociales, et leur position dans la société, l’absence de connexion Internet constitue une des causes de la création d’un « fossé numérique » entre les citoyens. Une fracture que les pouvoirs publics ont la responsabilité de limiter, voire d’éliminer.
Au début des années 2000, considérant que le principal obstacle à l’acquisition par les ménages d’une connexion Internet résidait dans son coût financier, les responsables politiques ont choisi de créer une tarification sociale de l’Internet.
Vingt ans plus tard, les dispositifs existants demeurent largement illisibles. De nombreux textes les réglementent, certains appliqués et d’autres pas, et des mesures annoncées ne sont mises en œuvre que plusieurs années plus tard. Quel paradoxe ! Voilà des outils pensés pour les publics défavorisés, qui précisément devraient pouvoir trouver toutes les informations facilement, mais dont la compréhension est brouillée par un jargon juridique et économique impénétrable.
Il s’agit ici de reprendre l’histoire du tarif social de l’Internet en France, d’y apporter des éléments du contexte européen, et enfin de dresser le portrait de la situation actuelle et des pistes de solutions pour l’avenir.
Le tarif social de l’Internet en France, des mesures largement insuffisantes
Épisode 3
Le 7 octobre 2016, pour la première fois en France le droit au maintien de la connexion à Internet est inscrit dans la loi. Portée par Axelle Lemaire, alors Secrétaire d’État au numérique, la loi une République numérique devait permettre « d’inclure l’accès aux services Internet dans le périmètre des services pouvant bénéficier d’une aide financière de la collectivité. »[1].
Trois années plus tard, force est de constater que les résultats ne sont pas ceux escomptés.
Les mesures ambitieuses de la loi pour une République numérique
L’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles donne droit à toute personne en difficulté financière à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture d’eau, d’énergie et de services téléphoniques dans son logement. Ainsi, concernant les factures d’énergie et d’eau, à défaut d’accord entre le consommateur et le fournisseur sur les modalités de paiement dans le délai de 30 jours et en l’absence d’une demande d’aide déposée auprès du fonds de solidarité pour le logement (FSL), le fournisseur peut procéder à la réduction ou à la coupure d’énergie et d’eau. La saisine du FSL a pour effet de suspendre la procédure d’impayé et donc la coupure.
La liste des services pouvant bénéficier du FSL étant définie par la loi, cette mesure nécessite de modifier les articles en cause, à la fois dans le code de l’action sociale et des familles et dans la loi n° 9à-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la loi pour une République numérique. Ainsi, grâce à ce texte, les personnes rencontrant des difficultés pour s’acquitter de leurs factures auprès de leur fournisseur d’accès à Internet devraient pouvoir faire une demande d’aide auprès du FSL de leur département de résidence. Cette demande aurait pour effet de suspendre la procédure d’impayé et donc la coupure. Les personnes ayant formulé cette requête pourraient en outre bénéficier d’une aide financière au maintien de la connexion.
Seulement, si les objectifs sont louables, il est clair dès la lecture de l’étude d’impact de la loi de 2016 que cette mesure ne sera pas une obligation pour les départements. Il est ainsi écrit que « les conseils départementaux qui voudront mettre en place une aide pourront… ».
Des expérimentations sans bilan ni généralisation
Avant d’être étendu à l’ensemble du territoire, le droit au maintien de la connexion à Internet prévu dans la loi devait être expérimenté dans trois départements : la Seine–Saint-Denis (93), la Haute-Saône (70) et la Marne (51).
Dès lors, toutes celles et ceux qui se réjouissaient que « les personnes les plus démunies bénéficient désormais d’un droit au maintien de la connexion à Internet » allaient un peu vite en besogne. Cette expérimentation devait durer une année et faire l’objet « d’une évaluation de sa simplicité d’usage et de son adéquation avec les besoins de ménages concernés », comme l’indiquait la secrétaire d’État Axelle Lemaire. Le dispositif pouvait ensuite être étendu à d’autres départements en 2018.
Depuis, aucune trace du bilan de ces expérimentations ni de la généralisation de cette mesure à l’ensemble du territoire. La communication n’a, semble-t-il, pas été suivie des faits.
Pourtant, si l’État fait manifestement preuve d’un manque de volonté politique, de nombreuses collectivités et bailleurs publics tentent à leur niveau de lutter contre la fracture numérique.
Entre régies publiques et accords avec les opérateurs, les collectivités et bailleurs sociaux prennent le relais
La Régie Communale du Câble et d’Électricité de Montataire (RCCEM), établissement public communal, a été créée en 1921. La municipalité de Montataire avait alors choisi de confier l’exploitation et le développement des réseaux d’électricité à une régie placée sous sa direction. Puis, en 1995, afin de pallier les difficultés de capter les chaînes nationales de télévision, la municipalité confie la construction et l’exploitation d’un réseau câblé à la RCCEM. Enfin, en 2013, la RCCEM s’attaque à la fracture numérique en proposant une offre « Triple Play » incluant la téléphonie, Internet et la télévision. L’occasion, pour les habitants de cette petite commune de l’Oise, de bénéficier d’une offre bon marché dont les revenus sont directement réinvestis localement.
De même, Paris Habitat — bailleur social de la ville de Paris — innovait en 2008 en proposant à ses locataires une offre fibre optique pour seulement 1,24 € TTC par mois comprenant, en autres, un accès Internet avec un débit de 512 kbps. En 2015, à l’occasion du renouvellement du marché public, l’offre s’élargissait avec l’accès aux chaînes de télévision, à un débit de 5 Mo et une ligne téléphonique pour les appels entrants. Le tout pour la somme de 1,37 € par mois.
Ici, le « tarif social de l’Internet » prend tout son sens. Il est d’autant plus important qu’a contrario, des offres « de luxe » apparaissent sur le marché. Orange propose ainsi « Parnasse », un club accessible sur invitation ou cooptation. Les heureux élus y trouveront certes un abonnement téléphonique et Internet, mais surtout un service de conciergerie du luxe, allant de la réservation d’une table dans un restaurant étoilé au coach numérique joignable 24 h sur 24.
« Peut mieux faire », la France doit rattraper son retard
En Finlande, une réduction d’impôt est prévue sur les frais d’installation d’Internet à domicile. Son montant peut s’élever jusqu’à 60 % de la somme réglée à une entreprise enregistrée. Le Royaume-Uni propose, via le Home Access Project, une connexion gratuite à Internet pendant un an aux ménages défavorisés. De même, des réflexions sont en cours quant à la prise ne compte de du coût de l’accès à Internet dans le calcul de certaines allocations.[2]
Les Français devront, pour leur part, se contenter de la loi du marché et de la concurrence qui fait peu à peu baisser les prix des opérateurs, comme en atteste cette offre de Free à 14,99 € alors que l’offre la moins chère d’orange – appelée « offre sociale » et réservée aux bénéficiaires du RSA – est aujourd’hui à 23 € par mois.
Perçu depuis les années 2000 comme une évidence (Épisode 1), objectif assumé de plusieurs textes européens (Épisode 2), le droit à la connexion n’est malheureusement toujours pas une réalité en France (Épisode 3).
Rappelons que dès 2015, dans la continuité de l’ONU, 75 élus « Villes Internet » ont signé l’appel pour la reconnaissance de l’accès à Internet comme un droit fondamental.
Combien d’années faudra-t-il encore pour que l’Europe coordonne la régulation de ce tarif social, seul levier pour lutter contre l’exclusion des services publics numériques ?
[1]Étude d’impact du projet de loi pour un République numérique, 9 décembre 2015
[2] Rapport n°34 du Centre d’Analyse Stratégique, Le fossé numérique en France, 2011
Consultez l'appel des élus pour la reconnaissance
de l'accès à l'Internet comme un droit fondamental