Quel chemin pour l’éducation aux médias en tant qu’outil d’émancipation ?
Les relations entre l’éducation et le numérique n’ont pas toujours été au beau fixe. Avant même que l’Internet haut débit se soit installé dans la majorité des foyers, le numérique transformait les rapports aux savoirs et à leur enseignement. Pour certains, Internet perturbait les interactions entre les professeurs et leurs élèves dans la transmission des connaissances. D’autres voyaient dans le numérique un formidable nouveau moyen d’apprentissage. Entre l’instauration du B2i en 2000 et l’interdiction du téléphone portable au collège en 2018, de l’eau a coulé sous les ponts. Les médias se sont diversifiés, l’accès à l’information s’est totalement transformé et la population a intégré les outils numériques dans ses usages quotidiens. L’éducation aux médias est dès lors devenue une évidence. Pourtant, dans un système démocratique, la question de la formation à l’information n’est pas neutre. Qui en définit les objectifs ? À qui s’adresse-t-on ? Quels sont les rôles des différents acteurs ? Autant de débats qui parcourent la communauté éducative et qui nourrissent les réflexions sur le sujet.
Entre autonomie et protection, quels objectifs pour l’éducation aux médias ?
En 2000, le B2i — certification délivrée au collège — devait garantir que « tous les Français qui sortent de l’école disposent bien d’un “socle de compétences” informatiques et Internet ». En 2005, l’éducation aux médias apparaît dans les programmes scolaires. Et depuis 2013 et la Loi de refondation de l’école, elle est une obligation rappelée par l’article L332-5 du Code de l’éducation : « La formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation économique et sociale et une initiation technologique ainsi qu’une éducation aux médias et à l’information qui comprend une formation à l’analyse critique de l’information disponible ».
Former à l’analyse critique, voilà un objectif ambitieux et nécessaire. En effet, « la capacité des jeunes à agir en tant que citoyens informés dépend de leur capacité à maîtriser les différents médias ».[1] Il s’agit, en somme, de former les futurs Internet citoyens. Mais une tension existe entre la volonté d’encourager l’autonomie dans la recherche et l’étude des informations d’un côté, et de l’autre le devoir de protéger les jeunes. Le tout, dans un contexte de méfiance de leurs usages et des nouveaux outils qui ne facilite pas les choses. Pourtant, le second volet de la grande enquête « École et citoyenneté » menée par le Cnesco en 2018 montre que la source d’information citée comme la plus fiable par les élèves est leur entourage. L’enquête révèle également que les élèves font nettement plus confiance aux informations issues des médias « traditionnels » (télévision, radio, journaux papier) qu’à celles issues des réseaux sociaux ou des vidéos en ligne. Il s’agit donc, dès lors, de faire davantage confiance aux jeunes dans le rapport qu’ils ont vis-à-vis de l’information.
L’objectif louable de la Loi de 2013 se heurte à un autre écueil, celui de sa mise en place effective dans les établissements. En effet, toujours selon l’enquête de CNESCO, « À peine plus de la moitié des élèves de 3e (52 %) déclarent que le sujet des médias a été évoqué en cours d’éducation morale et civique au cours de leurs années au collège (56 % des élèves de terminale concernant leurs années au lycée) ». L’éducation par les médias — qui sont alors des outils au service de la pédagogie — apparaît plus généralisée que l’éducation aux médias.
Ajoutés à cela, les écarts entre les établissements d’éducation prioritaire et les autres : « quand deux tiers des élèves scolarisés dans un collège hors éducation prioritaire (66 %) déclarent avoir travaillé à partir de documentaires ou d’émissions de télévision, ce n’est le cas que de 57 % des élèves en éducation prioritaire », le bilan de l’éducation aux médias est mitigé.
Aux côtés de l’Éducation nationale, les collectivités sont présentes sur ce terrain grâce, en autres, à leurs médiathèques et les services éducation jeunesse. La cyberbase de la ville de Bron (Rhône, 5@) par exemple accompagne les participants aux ateliers enfants-ados à des évènements lyonnais autour du sujet. De même, le réseau des médiathèques d’Épernay (Marne, 5@) sensibilise les mineurs, et le public en général, à la désinformation, à la littérature numérique ou encore l’éducation aux médias.
Le mythe des « digital natives »
L’expression « digital natives » connaît un réel succès médiatique dès lors qu’il est question d’aborder les compétences numériques des nouvelles générations, supposément « nées » avec les technologies.
Selon Anne Cordier — maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rouen et auteure du livre Grandir connectés — « les digital natives sont une construction sociale. Il s’agit d’un mythe qui construit un idéal type d’un adolescent qui aurait le même comportement, quelle que soit sa personne. Ce qui est important c’est de rentrer par les individus, les acteurs. Il faut ensuit aller voir chaque personne et on se rend compte d’une grande hétérogénéité des pratiques, d’expériences socialisatrices très variées et d’usages extrêmement différents. L’observation de terrain réduit dès lors à néant la construction sociale qu’est ce mythe des digital natives. »[2]
Ce mythe a pourtant des effets très négatifs dans l’accompagnement des jeunes. D’un côté, des parents et enseignants se trouvent paralysés par l’idée qu’ils ne peuvent rien apporter aux adolescents supposés tout connaître des outils numériques. Ces mêmes jeunes souffrant de leur côté de ne pas être suffisamment épaulés.
Sur ce sujet, le CLEMI conclut dans son guide La famille tout-écran, « les adolescents construisent individuellement et collectivement, au gré de leurs pratiques et des contextes, des parcours d’information qui articulent, de façon plus ou moins fluide selon les individus, le physique et le numérique. Et c’est là tout l’enjeu de la formation aux médias et à l’information aujourd’hui : les aider à prendre en compte la richesse et à décrypter la spécificité de chaque support comme chaque source rencontrés ».
Jeunes et moins jeunes, à qui s’adresse-t-on ?
Dans son article En 2019, une autre éducation aux médias est possible[3] publié sur le site de l’Observatoire des médias, le journaliste Lucas Roxo témoigne : « Mais depuis 2014, les ateliers qu’on m’a demandés ont toujours été auprès du même genre de personnes : des jeunes, habitant en quartier populaire, souvent issu.e.s de l’immigration ». Il ajoute qu’« on persiste à considérer que seules certaines [personnes] doivent être éduquées aux médias. Cela sous-entend qu’il d’un côté ceux et celles qui s’informent bien (les riches, les intellectuel.le.s les blanc.he.s, les adultes) et de l’autre, ceux et celles qui s’informent mal (les pauvres, les jeunes, les enfants d’immigré.e.s) ».
Le risque est dès lors de ne se concentrer que sur une partie de la population — alors que l’ensemble des citoyens doit avoir accès à cette formation nécessaire —, ou de vouloir apprendre à certaines personnes « la bonne manière de s’informer ».
Il est par ailleurs entendu que l’éducation aux médias s’adresse aux jeunes, et en particulier aux jeunes scolarisés.
Pourtant, ne devrions-nous pas réfléchir le sujet de manière plus large ? Dans cet article sur l’information, la désinformation et les fausses informations, nous revenions sur la diffusion des infox et pouvions alors constater qu’à l’heure des réseaux sociaux, les mauvais usages ne sont pas l’apanage des jeunes. Les adultes reprochent souvent aux jeunes de mal s’informer ou de ne pas vérifier leurs sources alors qu’ils sont eux-mêmes fréquemment acteurs de la propagation de mauvaises informations.
Dès lors, l’éducation aux médias de l’ensemble de la population est un enjeu démocratique majeur. Elle doit permettre à chacun et chacune de choisir ses canaux d’information en connaissance de cause et de les exploiter avec la distance nécessaire.
[1] Le zoom du Cnesco – 21 février 2019
[2]Vidéo publiée par Ludomag TV, chaîne d’information sur le digital et l’éducation
[3] « En 2019, une autre éducation aux médias est possible », Lucas Roxo et Amandine Kervella, Observatoire des médias, 2019
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