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Vers des politiques d’innovation durable

Publié le 12 décembre 2019 Innovation Territoire durable

Longtemps nous avons cru que la dématérialisation apportait des solutions aux enjeux écologiques, permettant d’utiliser moins de papier, moins de transports, et de réaliser de meilleures mesures du dérèglement climatique…  Pourtant les choix économiques n’ont pas été dans ce sens. Le marché du papier graphique stagne, particulièrement en France, mais le marché du papier d’emballage et de carton augmente. Et le secteur des transports est, quant à lui, toujours en croissance comme l’indique le commissariat général au développement durable dans ses chiffres clés du transport (2019) — alors qu’il émet à lui seul 30 % des gaz à effet de serre, fret maritime et aérien en tête. En revanche, la capacité de mesure apportée par le numérique est indéniable,  y compris pour les prévisions climatiques. Ces dernières années, la puissance de calcul au service des scientifiques a permis de comparer les simulations numériques réalisées par des centaines de chercheurs internationaux, regroupés dans le fameux GIEC. « Cet effort de recherche, très exigeant en termes de ressources humaines, de puissance de calcul et de stockage de données, rassemble plus d’une vingtaine de centres climatiques dans le monde ayant développé une cinquantaine de modèles numériques. »

Le numérique, mastodonte énergivore

Dans ce contexte, Roland Séférian, ingénieur chercheur à Météo-France qui  a contribué au dernier rapport du GIEC souligne, avec d’autres, l’impact négatif du secteur du numérique : « On crée des comptes sur des plateformes et on ignore que le stockage de nos données, qui vont peut-être nous servir qu’une fois dans notre vie, représente 2 % des émissions globales de CO2. »  Il faut se rendre à l’évidence : le secteur du numérique a un impact négatif sur trois aspects de la crise climatique : la consommation d’énergie, la consommation de ressources non renouvelables (métaux rares) et la production de déchets. 

La seule fabrication d’un ordinateur émet 100 fois plus de C02 qu’un an d’utilisation en France (source Green Code Lab). La progression de la consommation d’énergie du secteur du numérique est constante,  à la fois sur la phase d’usage des outils numériques qui représente au moins 10 % de la consommation d’électricité dans le monde et plus gravement encore, sur la phase de production de ces outils comprenant l’épuisement des ressources, l’effet de serre, la destruction de la couche d’ozone et la consommation d’énergie, etc.   En France, en 2015 le numérique a consommé environ 56TWh d’électricité sur un total de 476TWh soit environ 12 % de la consommation électrique du pays. La 4G consomme 23 fois plus que l’ADSL. 

Fabrice Flipo, philosophe des sciences et techniques, coauteur du livre   « La face cachée du numérique » publié par l’ADEME, ajoute qu’à « l’échelle mondiale, les data centers représentent 1,5 % de la consommation électrique, soit l’équivalent de la production de 30 centrales nucléaires », et assène : « Avec l’essor spectaculaire du stockage en ligne, ces chiffres sont appelés à croître sans cesse. » Avec la 5G et les millions d’objets connectés en cours d’installation certains prévoient une augmentation de l’ordre de 25 % d’ici 2030 de la consommation électrique du numérique dans le monde. 

Pourtant, les solutions de consommation responsable de l’internet, des applications et de leurs matériels sont multiples. Elles sont déjà  largement exposées, parfois avec des exemples très concrets, comme celui sur les impacts écologiques d’une facture papier et d’une facture électronique. Si on prend en compte l’impression et l’acheminement d’une facture papier, l’équipement de l’utilisateur (ordinateur, box internet, imprimante) et celui du fournisseur d’accès (serveurs, centres de stockage de données, etc.), deux conditions permettent que la facture numérique soit moins dommageable à l’environnement : qu’elle ne soit jamais imprimée et que sa consultation en ligne dure moins de trente minutes. Or, l’étude montre qu’une facture sur trois est imprimée au moins une fois, et que le maintien du fichier ouvert dépasse souvent les 30’.

Des solutions de deux ordres :  politique et comportemental.  

Choisir de prendre en compte l’impact écologique du numérique dans sa politique publique est une liberté des équipes municipales qui s’exerce essentiellement au moment des décisions d’investissement infrastructurels, comme l’implantation des antennes 5G ou le choix d’ouvrir un datacenter. Outre  ces choix stratégiques, il est possible, a minima, de faire évoluer les comportements au sein des organisations territoriales. Limiter le gaspillage en instituant des règles de réduction de la consommation électrique dans les pratiques quotidiennes des agents, appliquer à la lettre les règles de traitement des déchets électroniques, installer un Agenda 2030 dans l’ensemble du territoire local pour influer sur les comportements des habitants sont des actions déjà engagées par plusieurs collectivités et à généraliser. Les directions des systèmes d’information savent appliquer des méthodes solides d’évaluation pour témoigner de l’impact positif de ces décisions. Ces évaluations doivent être diffusées et partagées pour donner du courage aux plus hésitants.

L’écoconception des services numériques, moins appliquée, est pourtant très efficace. Cette pratique est décrite précisément dans le site eco-conception.fr, de l’association éponyme, dont la mission est « l’utilisation efficace des ressources et la diminution des impacts environnementaux des produits et services”  qui s’adresse essentiellement aux entreprises. ll est évident que les organisations publiques pourraient s’en inspirer pour de nouvelles exigences envers leurs services, leurs fournisseurs et sous-traitants. Le principe est simple : comparer les différentes solutions numériques dans chaque étape de vie d’un service pour choisir celle qui garantit un impact environnemental minimum. Ne plus utiliser un logiciel, créer un site web ou une application, sans appliquer des règles au cœur même du cycle de vie du service. Les développeurs ont leur ouvrage de référence, le Green Patterns « manuel d’écoconception des logiciels » produit et actualisé régulièrement par Green Code Lab un collectif d’ingénieurs, d’entrepreneurs et d’universitaires. Voilà de quoi faire évoluer les règles de l’achat public du numérique.

Une dynamique optimiste pour les élus au numérique : faire encore mieux


Avec l’achat responsable des outils numériques  passant par une évaluation fine et collaborative des fonctionnalités utiles, en améliorant la durée de vie des matériels par une gestion ferme du parc informatique (souvent pléthorique), en écoconcevant les services publics numériques et en évaluant précisément leur impact social, économique et écologique. Oui c’est possible et cela… fait du bien ! 

 L’Observatoire du Numérique BVA/Digital Society Forum rapportait en septembre 2019 que seuls 27 % des Français sont conscients de l’impact du numérique sur l’environnement. Seule une prise de conscience nationale et donc locale permettra une consommation responsable du numérique. Avec leur influence incontestable sur l’opinion,  les élus locaux, et notamment, les délégués au numérique peuvent s’approprier les solutions existantes et engager l’ensemble de leur collectivité dans une approche écoresponsable de leur vie numérique.

 

Pour aller plus loin :

  • Changement climatique : les nouvelles simulations françaises pour le rapport du GIEC “ CNRS- 2012
  •  “Les incidences sur l’environnement du transport des marchandises” Rapport OCDE – 1997
  •  GreenIT 2018
  • Les impacts écologiques des technologies de l’information et de la communication »  Groupe ECOINFO ( Cnrs/ Inria/Paristech) EDP – 2012
  •  Eco-conception web : les 115 bonnes pratiques – 3ème édition – Frédéric Bordage – Editions Eyrolles

Par Anna Mélin